Les savoirs traditionnels innus de la Basse-Côte-Nord voyagent jusqu’à Genève
Écrit par Frédérique Lévesque le 4 avril 2025
Les récits de la communauté innue d’Unamen Shipu ont fait leur chemin jusqu’en Suisse, alors que l’auteur Serge Jauvin présentait son ouvrage Aitnanipan « C’est ainsi que nous vivions », au salon du livre de Genève.
Cette semaine était celle de la journée nationale des langues autochtones et celle de la fondation officielle de la réserve d’Unamen Shipu, en 1956. Nous en profitons donc pour plonger dans le livre Aitnanipan, qui révèle un pan important de l’histoire de ce que nous appelons la Basse-Côte-Nord.
Publié en 2024, le livre donne un second souffle à une parution de 1993 intitulée, Aitnanu. La vie quotidienne d’Hélène et de William-Mathieu Mark. Le nouveau récit aborde de manière plus détaillée la transition du nomadisme au sédentarisme dans la communauté innue d’Unamen Shipu, dans les années 1980. Dans l’ouvrage on retrouve un journal terrain, des photos, des transcriptions d’entrevues et même quelques dessins d’enfant. Pour réaliser ce portrait, le photographe Serge Jauvin a séjourné dans la famille d’Hélène et de William-Mathieu Mark pendant un an, de 1982 à 1983.
Le lien entre le photographe et la famille Mark se tisse à la fin des années 1970. Puis, en 1981, il part en forêt avec William-Mathieu Mark et constate la richesse de la culture innue. L’année suivante, il entreprend le projet d’illustrer une année complète avec la famille Mark. Il rencontre alors Geneviève Mark, la fille d’Hélène et de William-Mathieu Mark. À ce jour, Serge Jauvin et Geneviève Mark sont encore très proches. Elle nous parle de son héritage avec fierté.
Je suis fière de ma culture. Je suis fière de mon identité, que mes parents m’ont transmise.
Geneviève Mark
Ce ne sont pas les premiers contacts que Serge Jauvin a avec le peuple innu. La première communauté qu’il visite est celle de Mashteuiatsh anciennement dite Pointe-Bleue, dans la région de ce qu’on appelle le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il a ensuite visité plusieurs autres communautés, comme celle de Pakua Shipi. Unamen Shipu demeure son coup de cœur.
Serge Jauvin se définit comme un photographe avant tout. Originaire du Lac-Saint-Jean, il habite la Côte-Nord depuis les années 80.
Lorsque nous parlons de Aitnanipan « C’est ainsi que nous vivions », Serge Jauvin rappelle qu’il ne s’agit pas là de son livre. Il s’agit aussi de l’ouvrage de toute la famille Mark. Dans la préface de l’ouvrage, on peut lire que l’objectif du recueil est d’illustrer la transmission des savoirs traditionnels innus de génération en génération.

Il y avait ce désir de transmettre. Il y avait ce désir de partager avec les leurs, mais aussi avec la communauté québécoise. Ils [Hélène et William-Mathieu Mark] voulaient transmettre, ils voulaient montrer aux Québécois toute la richesse de leur culture. […] Ils se sont servis un petit peu de moi comme un diffuseur, si on veut. Quelqu’un avec qui ils vont pouvoir transmettre ce savoir-là, ces connaissances-là. Ce sont des gens qui appartenaient à la dernière génération de ceux qui ont vécu le nomadisme.
Serge Jauvin
Serge Jauvin a souhaité conserver les apparitions du père Alexis Joveneau de la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, curé pour la communauté de 1953 à 1992 et accusé par des dizaines de personnes d’agressions sexuelles, dans le cadre de la Commission d’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il explique ce choix en raison de l’importance que cette personne avait dans la communauté à l’époque. Il se dit conscient qu’il pourrait se le faire reprocher.
Geneviève Mark nous parle de tous les enseignements de ses parents qui sont illustrés dans le recueil, comme la sagesse qu’elle retient de son père, l’artisanat et la cuisine, qu’elle retient de sa mère. Elle travaille comme coordonnatrice aux loisirs et sports d’Unamen Shipu depuis près de 20 ans. Elle nous explique que dans le cadre de son emploi, elle est amenée à poursuivre ce travail de transmission de la culture innue, par le biais d’activités intergénérationnelles.

Lorsque Serge Jauvin écoute Geneviève Mark parler des transmissions de ses parents, cela rappelle selon lui que l’humanité des Innus est un legs d’abord pour la culture innue, mais qui touche aussi à l’universel.
Serge Jauvin a profité de son passage en Europe pour partager son nouvel ouvrage au musée de l’Ethnologie à Genève et à la Bibliothèque du musée de l’Homme de Paris.
Il travaille actuellement sur une exposition qui prendra place au musée de Mashteuiatsh à l’automne 2026, pour célébrer ses 50 ans de complicité avec le peuple innu.
Crédit pour le son du vent et de la marche en forêt