Épisode 10 – Les revenants : cimetières du village et liens à la mortalité
Visuel Emilie Pedneault 8 septembre 2021
L’emplacement des cimetières et des églises a engendré bien des questions de logistique et d’accès au village en lien avec la mortalité. Ainsi, la chapelle Sainte-Anne-de-l’Île-Providence, qui a longtemps été la seule église du village, et les cimetières de l’Île Kanty et du Portage d’Hiver, près du Petit Mécatina, sont seulement accessibles par barque de pêche l’été ou par cométique, puis par motoneige l’hiver. Historiquement, les cercueils sont fabriqués en bois d’ici, qualifié de « bien ordinaire ». Les cercueils sont déplacés à pied, en motoneige ou en barque de pêche. Le transport est souvent pénible en raison de la grande distance à parcourir entre l’église, quelle qu’elle soit et le cimetière dédié, ce qui influence parfois les gens à ne pas assister à l’enterrement : seuls les porteurs seront alors présents. Par exemple, certaines funérailles ont lieu dans la chapelle sur l’Île Providence, mais les corps sont enterrés au Portage d’Hiver, sur l’île du Petit Mécatina. Pourtant, ces lieux sont séparés d’une distance considérable et liés seulement par voix navigable (Mailhot, 1970).
Il n’y a pas de morgue ou de salon funéraire au village, ni sur la Basse-Côte-Nord. Les morts sont, encore dans les années 1990, entreposés au sous-sol de l’église du village. La décomposition des corps se produit donc très rapidement, et les funérailles puis l’enterrement doivent être rapprochés du décès. Avant la présence de prêtre résidents au village, lorsque passaient trois jours après une mort et même si le prêtre n’était toujours pas passé, il fallait procéder à l’enterrement du corps. La fosse était creusée par la famille, beau temps mauvais temps. Malgré tout, fut un temps où toutes les bonnes volontés n’y font rien. À l’époque où seuls l’église sur l’île Providence et le cimetière de l’île Kanty existaient, un mort dû rester pendant un mois dans la chapelle du large, avant que la glaise du sol de l’île Kanty soit assez malléable pour y creuser une fosse (Atelier des aînés, s.d.).
Lors du dueil, qui peut durer jusqu’à un an et demi, la famille du.de la défunt.e doit respecter un code précis. Notamment, elle doit porter du noir. Les habits pour les femmes étaient plus stricts et devaient être exclusivement noirs, alors que pour les hommes, une cravate, une casquette noire ainsi qu’un insigne ou un morceau de tissu noir fixé sur une blouse suffisaient (Mailhot, 1970).
La veillée funèbre en elle-même possède aussi des codes bien particuliers : la chambre dans lequel le corps est exposée doit être dépourvue de photographies et de cadres, et la fenêtre doit être couverte d’un drap blanc, tout comme le plancher et parfois même les murs. Le mort est couché au sol, près du mur du fond, les pieds orientés vers la porte si possible, afin qu’on le sorte les « pieds devant » et qu’« on le vire dans le sens du soleil », lorsque le temps sera venu. Une table est installée près de la tête du corps, pour que les visiteurs y aient accès, et deux chandelles y sont déposées, qui brûlent jusqu’à la fin de la veillée. Celle-ci dure entre une et trois nuits. Pendant la veillée, on asperge aussi le corps avec de l’eau bénite, à l’aide d’une branche de sapin (Mailhot, 1970).
S’il s’agit d’un homme adulte, ce seront deux hommes qui se chargeront de ce rituel et s’il s’agit d’une femme, ce seront deux femmes (habits, rasage s’il y a lieu… tout sauf les chaussures), idéalement ce sont des membres hors de la parenté. S’il s’agit d’un enfant, eux devant vêtir du blanc pour ce rituel, ce seront alors des femmes qui s’en chargeront, parfois même la mère. Les enfants sous l’âge de sept ans, et n’ayant donc pas passés l’âge du « péché mortel », sont veillés seulement une nuit et il est interdit sous peine de sanctions, de prier pour eux (Mailhot, 1970).
Si on entre à l’église un jour de funérailles, on verra sur des draps noirs disposés un peu partout, des figures de squelettes. D’autres squelettes, encore, se retrouvent sur le jubé, recouvert d’un drap blanc. Sur la tombe, un long drap noir pend jusqu’au plancher. Pendant trois jours, le chapelet est récité à toutes les heures, avant que le corps ne soit enterré. Il faut savoir qu’à Tête-à-la-Baleine, l’histoire témoigne d’une réelle peur d’être enterré.e vivant.e ! De bouche à oreille, on raconte que cela se serait produit dans d’autres villages où on aurait confondu un état près de la mort avec une mort véritable. Cette peur influence certains comportements lors de la veillée funèbre. Ainsi, une heure complète doit s’écouler entre le dernier souffle du mourant et son déplacement vers le cimetière. Également, on touche la dépouille pour s’assurer de son refroidissement, cependant, jamais cela ne doit être fait par un parent du.de la défunt.e (Mailhot, 1970).
Découvrez les écrits de José Mailhot sur les rapports entre les vivants et les morts à travers diverses sources, disponibles en ligne ou en bibliothèque :
Mailhot, José. Les relations entre les vivants et les morts à Tête-à-la-Baleine, d’après une analyse de légendes. Thèse (M.A.), Université de Montréal, 1965, 138 p.
Mailhot, José. (1970). La mort et le salut des défunts à Tête-à-la-Baleine. Recherches sociographiques, 11 (1-2), 151–166.
Merci à José Mailhot, cette grande anthropologue qui m’a généreusement partagé ses souvenirs, connaissances, anecdotes et projets sur Tête-à-la-Baleine. Son décès en mai 2021 m’a profondément troublé et attristé. Sa participation au balado prend alors un autre sens et je remercie ses proches de m’avoir permis d’aller de l’avant avec nos enregistrements.
Découvrez la carte graphique de Tête-à-la-Baleine réalisée par l’artiste Emilie Pedneault sur notre site web, sur la page Vie du village sous l’onglet Page communautaire.
Pour écouter l’épisode complet, cliquez ci-dessous.
Toute l’équipe de la radio communautaire Tête-à-la-Baleine ainsi que la réalisatrice du balado, Frédérique Lévesque, tiennent à remercier chaleureusement toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans la mise en forme de ce projet rassembleur. Merci plus spécifiquement au Fonds canadiens de la radio communautaire et à leur programme Radiomètre qui a financé ce balado, ainsi qu’aux productions du Garde-Robe qui ont optimisé certains extraits de vieilles cassettes audios.
Tous les épisodes sont également disponibles sur les plateformes classiques d’écoute en ligne. Recherche et réalisation, Frédérique Lévesque. Un projet original de la Radio CJTB. Visuels du balado réalisés par Emilie Pedneault.